Entretien Judith Spinoza
LUXE Directrice Développement Environnement du groupe LVMH, Hélène Valade, ex-vice-présidente du développement durable du groupe Suez, détaille les étapes de la politique environnementale du numéro 1 du luxe. Un « luxe nouveau » serait-il en train d’émerger ?
Hélène Valade, vous avez dernièrement déclaré : « Nous voulons faire émerger un luxe nouveau. » Qu’est-ce que cela signifie concrètement chez LVMH qui a lancé en décembre le programme Life 360 ?
Comme beaucoup de crises, celle de la Covid-19 a précipité des tendances préexistantes : elle a donné plus de poids à des attentes telles que le besoin de sens, la réassurance, l’attention, le soin, le lien avec la nature. Cette crise appelle la redéfinition radicale des rapports entre humains et non-humains. Le respect de l’environnement était déjà au cœur de la politique de LVMH mais la crise invite à franchir une étape supplémentaire : celle de proposer une nouvelle alliance entre la nature d’une part, et le génie humain, la créativité, la transmission, le savoir, l’excellence artisanale d’autre part. Et ce, sans qu’il y ait de domination de l’un sur l’autre. De cette observation est né le concept de « Luxe Nouveau » dont la dénomination fait écho à l’Art Nouveau, un courant qui a succédé à la révolution industrielle et à une certaine abstraction de la nature. Ce rééquilibrage doit se loger dans des choses concrètes, dans l’action. Il y aura bien un avant et un après Covid.
Qu’est-ce qu’on ne fait plus dans le « luxe nouveau » et qu’est-ce qu’on fait mieux ?
On ne s’intéresse pas seulement au produit fini, mais à tout son cycle de vie, de son origine, jusqu’à son usage. On considère que son histoire, l’attention portée à la nature dans son process de fabrication, le sens et l’émotion qu’il véhicule sont importants. Ce qu’on fait mieux ? On limite systématiquement l’impact d’un produit sur l’environnement, et on va plus loin : on régénère cet environnement.
L’idée, c'est est de passer d’une culture de l’impact à une culture de la régénération.
Concrètement, ça donne quoi ?
C’est notre programme d’agriculture régénératrice : pour l’activité vins et spiritueux, cela veut dire régénérer les sols, en réintroduisant de la biodiversité, ce qui constitue aussi une réponse aux enjeux du climat, car un sol régénéré est aussi un sol qui capte mieux le carbone. L’idée est de passer d’une culture de l’impact à une culture de la régénération et, au fond, de rendre à la planète ce que nous lui prenons. L’excellence des produits proposés par nos maisons vient de la nature, c’est elle qui les compose, c’est elle qui les inspire. Le rééquilibrage est le principal enjeu des années à venir. Cette relation plus charnelle avec la nature renvoie également à l’essence même du secteur du luxe, à savoir son exclusivité. La rareté des matières et des procédés, le principe des pièces uniques… Tout cela se construit en opposition totale avec la fast fashion et la culture de l’abondance.
L'écoresponsabilité est une révolution au long court que LVMH a débuté en 1992…
Oui. Peu de gens le savent, mais le département Environnement a été créé quand ce n’était pas une préoccupation encore très répandue. On ignore par exemple que LVMH a participé à établir la méthode du bilan carbone avec l’ADEME (l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), à la fin des années 90. Ou que le groupe a collaboré avec la FRB (Fondation pour la recherche sur la biodiversité) en préparation du Protocole de Nagoya (l’accord sur la biodiversité négocié en 2010 par les Etats membres de l’ONU - NDLR).
Notre priorité, c’est que nos produits soient la signature de notre ambition environnementale.
Quelle est la thématique prioritaire aujourd’hui ?
C’est que nos produits soient la signature de notre ambition environnementale : respectueux de la nature, parfaitement traçables et donc contribuant positivement à l’effort climatique et à la préservation de la biodiversité. C’est tout le sens de notre nouveau programme d’engagements Life 360, la nouvelle boussole environnementale du Groupe pour les trois, six et dix ans à venir.
LVMH c’est 75 maisons et 5 secteurs d’activités. Lesquelles sont les plus précurseurs et pourquoi ?
Chaque secteur d’activité a des enjeux particuliers de préservation de l’environnement : écoconception des produits pour la mode et maroquinerie, promotion de l’agriculture régénératrice pour les filières végétales des parfums et cosmétiques, programme « Sols Vivants pour Vins et Spiritueux »… Et toutes les maisons ont intégré dans leurs plans stratégiques les objectifs de Life 360, qui fonctionne comme un langage commun au service de l’ambition environnementale du groupe.
Comment les différentes marques du groupe optimisent-elles les engagements de développement durable entre elles ?
Facilement, par des rencontres régulières tout d’abord entre nos Responsables Environnement qui relayent l’information et les bonnes pratiques auprès des différents métiers. Mais aussi parce que nos 75 maisons constituent un terrain parfait pour l’économie circulaire.
Donnez-nous un exemple…
Deux de nos collaborateurs venant de chez Kenzo ont imaginé la plateforme Nona Source, qui sera lancée en avril 2021. Nos marques s’y échangeront tissus et cuir, et la jeune création pourra s’y approvisionner en matières de qualité à prix compétitifs. Ce sont d’ailleurs les designers qui donnent l’impulsion, en faisant de l’économie circulaire une nouvelle source d’inspiration et de circularité. Chez Vuitton, Virgil Abloh a présenté l’été dernier une collection qui revisitait des looks de saisons précédentes et utilisait des matières recyclées. Chez Loewe, Jonathan Anderson a lancé la collection Eye/Loewe/Nature, entièrement écoconçue…
Photos : Boby.
Le site Life 360 de LVMH.
La suite de l'entretien dans un prochain post.