IDÉES Pour ceux qui ont raté l’un des phénomènes du printemps, on rembobine le film. Elles s’appellent Thaïs, Angelina, Crystal et Annabelle. Quatre filles d’une moyenne d’âge de 15 ans dont la légende voudraient qu’elles se soient rencontrées dans des soirées parisiennes, et dont toute la presse se fait l’écho. Elles s’appellent le Gucci Gang.
On a d’abord cru à un collectif hip hop nouvelle génération. Puis, devant les publications toutes sorties à peu près au même moment – de Clique TV à Public en passant par Dazed ou Vogue –, on a ensuite soupçonné un coup de com’ d’un attaché de presse zélé qui aurait inondé les rédactions de communiqués de presse. Mais orchestré par qui, le coup de com’ ? Gucci itself ? On voit mal la marque transalpine détenue par Kering miser sur quatre ados parisiennes.
L’agence qui gère leurs intérêts a dû déceler une caution intellectuelle qui les démarquait des autres filles du même âge.
L’homme derrière ces quatre filles s’appelle en fait Olivier Lafrontiere, directeur de l’agence WM Models. C’est lui qui les a repérées sur Instagram, en commençant par leur leadeuse Angelina Woreth. « Par ailleurs, l’une des membres du groupe, Thais, est la fille de Cédric Klapisch, explique Thomas Mondo, planneur stratégique et consultant expert en luxe. L’agence qui gère leurs intérêts a ainsi dû déceler un terreau culturel intéressant, une caution intellectuelle qui les démarquait des autres filles du même âge. »
Le résultat ne se fait pas attendre : Angelina Woreth fait la couverture du numéro underage de l’Officiel quand la version française du magazine i-D publie une série photo du quatuor en total look Gucci.
Examinons maintenant l’utilité du phénomène. Comme le souligne avec ironie O, le cahier de tendances de l’Obs, les filles du Gucci Gang ne reçoivent pas encore de cadeaux de la part de l’enseigne dont elles portent le nom. Il n’empêche que la marque y bénéficie d’un coup de pub à moindres frais quand le crew de filles s’exprime sur la coolness retrouvée de Gucci depuis l’arrivée d’Alessandro Michele à la direction artistique.
Pour Thomas Mondo, le Gucci Gang est une déclinaison française réussie du business-model popularisé par le géant américain IMG Models. L’agence a été parmi les premières à flairer le juteux filon des blogueurs et influenceurs en leur créant un département dédié. Loin de s’arrêter en si bon chemin, IMG a également donné naissance au mythe de l’Insta model, en incitant ses jeunes mannequins à scénariser leurs vies en dehors des podiums afin d’optimiser leur présence digitale.
« Le Gucci Gang, c’est l’un des phénomènes qui démontre à quel point cette génération d’ados maîtrise les codes du marketing 2.0, continue Thomas Mondo. A l’inverse des premières influenceuses qui faisaient preuve d’une forme de naïveté, ces filles ont compris qu’il fallait amener une certaine sophistication. »
Les médias français, sans doute lassés de l’omniprésence des blogueuses mode, érige ces modeuses stylées en icônes adolescentes, versions clean des Kids de Larry Clark qui continuent pourtant de pulluler sur les Tumblr de tous les cool teens de la Toile.
Un marketing de la jeune fille que tempère dans O le sociologue Frédéric Godart : « On est face à une représentation de la jeunesse complètement contrôlée, aseptisée et esthétisée. » Les dernières à avoir appliqué cette recette avec succès sont les Kardashian… que les filles du Gucci Gang déclarent à l’unanimité « respecter » pour leur sens inné des affaires. CQFD.