FUTURS Gérald Cohen dirige le Bureau de Gérald Cohen. Sous cette appellation très « AlainDelonesque », son agence a accompagné dans leur communication des marques comme Tod’s, Zadig & Voltaire, Hugo Boss, Tumi… Aujourd’hui, il sort un livre, la Mode comme observatoire du monde qui change, où il observe les mutations de la mode à l’heure des babys et des babybrands. Des quoi et des quoi ? Interview.
Gérald, tu sors un livre sur la mode et les Babys, mais c’est quoi les Babys ?
En 2009, j’ai vu venir à moi la nouvelle génération des digital natives. Les publicitaires les nomment la génération Y, parce que celle d’avant s’appelle X ? Et la suivante s’appellera Z ? J’ai préféré les appeler les Babys, ça leur ressemble plus. Ils sont les petits enfants des superhéros qui ont construit le monde d’après-guerre. Ils vont à leur tour devoir affronter les révolutions, les guerres, les dégâts de la pollution, intégrer les populations migrantes, inventer un nouvel ordre amoureux, construire le monde de demain tourné vers les nouvelles technologies, l’Asie et la conquête des libertés individuelles menée par les femmes.
Les publicitaires les nomment la génération Y, j’ai préféré les appeler les Babys.
Tu expliques que c’est la génération X, la « génération charnière », qui a installé le luxe dans les esprits contemporains…
Oui, cette génération, qui arrive juste après celle des baby-boomers, a fait de la mode une industrie capitalistique et financière. C’est sur le mot « luxe » que Bernard Arnault – s'il est un peu plus vieux que la génération X, ses consommateurs font partie de celle-ci – a bâti un empire dont les images et la communication servent de modèle à toutes les industries, des arts plastiques au cinéma, des banques aux compagnies d’assurance, jusqu’aux politiques qui peuvent aujourd’hui épouser des mannequins ou des comédiennes. Parmi les cent plus grandes fortunes de France, de très nombreuses familles sont issues de l’industrie des apparences, de Bernard Arnault, le premier d’entre eux, à Thierry Gillier, fondateur de Zadig & Voltaire, qui est classé 100e.
En quoi les Babys changent-ils la donne ?
Pour les Babys, la mode et ses images sont le monde de référence, sur les réseaux sociaux comme dans la vraie vie. Les Babys sont la première génération au monde à avoir appris à se servir d’instruments – technologiques – sans l’aide de leurs parents ou de leurs professeurs. Et ils leurs enseignent au quotidien l’utilisation de ces nouvelles machines. Mais leur domaine d’influence ne se limite pas à la technologie, il empiète sur de nombreux domaines de la vie quotidienne. Et leurs parents les écoutent ! Ils « valident » le look de leurs parents, par exemple. Les marques de mode tiennent compte de cette influence et intègre l’avis des Babys dans leur communication et le merchandising de leurs collections, comme ils ont déjà intégré l’accélération des tendances et des styles qui se succèdent à la vitesse dictée par la consommation grandissante d’images sur les réseaux sociaux.
Ces marques inventent un nouveau discours marchand qui repose sur l’émotion et le “care”.
Que doit faire une marque de mode pour séduire les Babys ?
Aujourd’hui, les Babys sont encore sous l’influence des codes dictés par les marques de « luxe », mais les professionnels perçoivent les limites de leur empire. Là encore, les réseaux sociaux jouent un rôle important. Leurs membres pensent en tribus mais échappent à la pensée unique. Avec les imprimantes 3D, ils peuvent fabriquer leurs prototypes, pour l’instant des pièces uniques, mais bientôt ils les fabriqueront en série. Avec des drones, ils ont une vision du monde inédite et pourront livrer leurs marchandises de façon autonome. Leurs plateformes de vente en ligne viennent concurrencer le commerce traditionnel. De plus, les marques naissantes françaises, comme Twins For Peace ou Luz, inventent un nouveau discours marchand qui repose sur l’émotion et le « care » : elles fabriquent des produits souvent basés sur des critères responsables et solidaires. Dans leur sillage, le groupe Kering, Zara ou Nike, entre autres, très attentifs à ce qui se dit sur les réseaux sociaux, se sont engagés à mettre en œuvre des pratiques durables. La pression des 7 à 12 collections par saison qui repose sur leurs directeurs artistiques conduit les grandes maisons des groupes LVMH et Kering à remplacer leurs directeurs artistiques stars pour recruter des bancs entiers de Babys coachés par des directeurs artistiques spécialistes du marketing.
Ces grandes marques ont du souci à se faire ?
Si elles ignorent les Babys, oui. Elles doivent s’associer avec les Babybrands pour connaître les aspirations profondes des Babys, faire des marques naissantes des partenaires à part égale. Elles doivent oublier le vintage et le storytelling pour intégrer les technologies dans leurs créations et inventer de nouvelles histoires.
« La mode comme observatoire du monde qui change ». L’Editeur. 313 pages. 19 €.
Illustration iStock.