Par Charles Barachon
DESIGN Imaginez une chauffeuse à trois pieds, un rouleau à pâtisserie rectangulaire, un monolithe sans fonction… Il arrive que les designers lâchent du lest vis-à-vis de la sacro-sainte emprise de la fonction – raison d'être de leur discipline – au profit de la forme, de l'humour et de l'esprit. Et ça fait plutôt du bien.
Dans le répertoire comique, les objets du quotidien de la série The Uncomfortable de la Grecque Katerina Kamprani ont l'efficacité des blagues courtes : arrosoir arrosé, verre imbuvable, parapluie en béton, etc., ou la vacuité à son état le plus basique.
Le verre imbuvable de Katerina Kamprani.
Plus esthétique, le monolithe en résine noire de Pierre Charpin tient autant de la symbolique de la colonne que de l'objet mystérieux. Bien que personne ne s'en serve, il trouve sa place dans un espace domestique, pour l’œil, pour l'esprit. Et, après tout, on peut aussi y suspendre un chapeau…
Le monolithe en résine noire de Pierre Charpin.
Fervent amateur des limites communes de l'usage et de l'inutilisable, le designer belge Maarten van Severen (1956-2005) a conçu une série de fauteuils privés de pieds arrière, les F88 (photo du haut et ci-dessous), qui donnent l'impression, lorsqu'on y est assis, d'être sur un rocking-chair en mode pause.
Nous aimons parfois oublier la fonction de l'objet.
Hannes van Severen, son fils, et sa compagne Fien Muller, forment le duo Muller van Severen. Tous deux artistes de formation, ils n'ont pas oublié la la leçon de leur aîné : « Nous aimons parfois oublier la fonction de l'objet sur lequel nous travaillons pour nous concentrer sur cet objet en tant que sculpture », expliquent-ils en évoquant leur mobilier-paysage composé d'une étagère, d'une assise propice à la lecture et d'un bureau en hauteur. Ou comment partager le même mobilier en ayant une activité différente.
Le tout en un de Muller van Severen
Dans l'esprit d'un design donnant du fil à retordre à la fonction, le mouvement italien Anti-design du jeune Ettore Sottsass et de Joe Colombo, s'en prenait déjà dans les années 1960 au rationalisme fonctionnel du modernisme. Les tabourets I Sassi de Piero Gilardi ont l'air d'être impraticables – s'asseoir sur des pierres n'ayant jamais été d'un grand confort. Pur trompe-l’œil en l’occurrence, la chose étant en polyuréthane peint.
Les tabourets de Piero Gilardi.
Au mobilier fonctionnel sans forme et sans âme, l'époque actuelle préfère un design qui repousse de temps en temps l'usage pour mieux faire avancer les formes. Un design beaucoup plus utile.