Par Charles Barachon
CULTURES Né à New York et Berlin il y a quelques années, il s'est depuis propagé un peu partout. L'art post-Internet, dernier courant de la génération d'artistes née dans les années 80, est-il solidement campé sur ses pattes, encore promis à un bel avenir ou déjà un peu ringard ?
« Il est beaucoup plus intéressant qu'on pourrait le penser à première vue », défend le critique et commissaire d'exposition indépendant Nicolas Bourriaud.
Pas forcément présentes sur le Net ni nécessairement digitales, les œuvres post-Internet peuvent être des sculptures, installations ou performances. Elles se nourrissent de l'influence culturelle des réseaux sociaux, de leur esprit, sans être de l'art dématérialisé, diffusé sur des écrans et exclusivement visible sur le Net (ça, c’est le net art). D'où l'appellation « post-internet », pas toujours simple à comprendre.
Dans la famille post-Internet, la logique des réseaux n'est pas toujours une fin en soi, juste un moyen.
Sensation du genre, l'Argentine s'est ainsi faite remarquer grâce à sa série Excellences & Perfections, quelques deux cents selfies postés sur Instagram et Facebook où elle incarne plusieurs personnages féminins stéréotypés à grand renfort de poses aguicheuses, d'accessoires et de mini-scénarios : la lolita fan de cosmétiques, la ghetto girl qui vient de s'offrir de nouveaux seins, la working girl BCBG de retour d'un shopping de dingue…
Amalia Ulman, qui fut escort-girl à Londres pour financer ses études au Central Saint Martins College, parle évidemment de la vacuité et de l'égocentrisme des réseaux sociaux. Mais pas seulement. « C'est plus qu'une satire. Je veux montrer que la féminité est une construction et non quelque chose de biologique ou inhérent à la femme », expliquait-elle il y a peu. Cindy Sherman n'est pas très loin. On voit surtout que dans la famille post-internet, la logique des réseaux n'est pas toujours une fin en soi, juste un moyen. Et c'est tant mieux.
Autre figure de proue du courant, Artie Vierkant présentait Image Object, une sculpture sur le gazon des Tuileries lors de la dernière FIAC. Un assemblage géométrique, élégant et débridé d'impressions colorées sur de fins panneaux d'aluminium. Créé à partir d'un fichier informatique, c'est dans la dépossession de l'auteur, sa dématérialisation, sa circulation dans le circuit professionnel de l'art et son statut d'objet marchand qu'il bascule du côté du post-Internet.
Car à chaque fois qu'un magazine, un collectionneur ou une foire demande une reproduction de cette sculpture à Vierkant, le jeune New-yorkais prend soin de modifier l'image 3D d'origine, lui donnant autant de secondes vies. Soit la volonté de l'artiste de reprendre à son compte l'altération des images dans la prolifération des partages.
L’art post-Internet, simple effet de mode réduit à des gimmicks de geeks ? Toujours est-il que les artistes les plus talentueux du courant continueront néanmoins à réaliser des œuvres remarquées, dans une synthèse contemporaine entre pop art et art conceptuel.
Richard Prince, l'un des rois de l'appropriationnisme, est d'ailleurs le récent auteur d'une série de portraits d'un nouveau genre (photo du haut). De grandes impressions de selfies d'anonymes ou de célébrités capturés sur Instagram (la page officielle de Kate Moss, son amie Pamela Anderson), nombre de « likes » et commentaires de l'artiste y compris. L'étiquette « post-Internet » a, en ce qui le concerne (66 ans au compteur), quelque chose de très comique.