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L’APPLE WATCH EST-ELLE UN PRODUIT DE LUXE ?

Entretien Raphaël Turcat

LUXE Une grande partie de l’univers de la mode et du luxe s’est penchée sur le berceau de l’Apple Watch. La fashion parisienne et new-yorkaise a également accompagné le baptême de la montre connectée, dernière née de la firme de Cupertino. Mais avoir comme parrains Tag Heuer, Yves Saint Laurent, Kaiser Karl ou mamy Wintour suffit-il à s'installer aux premières loges du luxe ? Philippe Jourdan, boss de Promise Consulting et spécialiste des méthodes d’évaluation et de valorisation des marques du point de vue du consommateur, apporte quelques réponses.

Philippe Jourdan, Apple a réussi à bouger les lignes du design jusqu’à en faire une référence. Avec son Apple Watch, elle lorgne clairement vers le luxe. Peut-elle aussi bouleverser la donne dans ce domaine ?
Cela sous-entendrait que pour créer un objet de luxe, il suffirait de ne s’appuyer que sur le design et le prix – elle coûte entre 300 et 10 000 €. Pour le luxe, il manque une profondeur historique, un savoir-faire sur le long terme et une localisation de la fabrication, comme l’horlogerie suisse, la haute couture française, les voitures de luxe allemandes. Avec l’Apple Watch, on est plus dans un objet tendance.

Pourtant, Apple a une histoire – quarante ans – et un ancrage géographique – la Silicon Valley…
Oui mais la localisation est trop floue. Il s’agit d’un produit technologique et la production est mondiale, notamment avec l’Asie pour Apple. Cette question d’identité n’est pas à négliger : le « made in » est très important pour définir les contours d’une marque, même s’il s’agit en grande partie de storytelling.

Le succès d’Apple l’empêche par essence d’accéder à l’univers du luxe.

 

 

Donc, avec son Apple Watch, Apple est un peu juste pour s’affirmer comme une marque de luxe ?
Si on se place sur le prestige du créateur, l’innovation et la qualité du design, l’Apple Watch remplit les critères. Mais si on parle de la localisation et de la sélectivité de l’acheteur, non, elle n’est pas assez sélective. Le succès d’Apple l’empêche par essence d’accéder à cet univers du luxe. Il n’est qu’à observer le véritable but de l’iPhone 5c : c’était une tactique d’Apple pour attirer une clientèle moins prestigieuse et élargir la cible de la marque. Or on remarque que pour les marques de luxe, la démarche est inverse. Voyez Louis Vuitton qui est revenu sur son entrée de gamme en baissant la part de ses accessoires.

Pourtant, le marché des montres de luxe ne s’est jamais aussi bien porté…
Vous avez raison, sauf que là où Patek Philippe ou Rolex s’inscrivent dans la durée, voire la transmission aux générations futures, comme un héritage, l’Apple Watch n’est pas dans la pérennité car dans sa dimension technologique, il y a forcément l’obsolescence qui guette : elle va être upgradée puis remplacée au bout de cinq ans environ. La montre ne prend donc pas de valeur en avançant dans le temps.

Certaines marques de luxe, comme Burberry, ont réussi leur « rebootage » en développant une politique ultra-connectée pour avoir accès à un public plus jeune. Dans ce domaine, l’avance d’Apple lui donne-t-il un avantage envers d’autres marques de luxe encore figées dans un monde trop « réel » ?
Oui, c’est un atout ! Burberry, qui avait un vrai storytelling mais était larguée auprès des jeunes générations, a su conserver ses codes tout en allant vers la digitalisation, qui est une vraie réussite. Mais Apple n’a pas ce problème : elle est même en avance là-dessus, sans compter sa puissance sur les réseaux sociaux. En fait, je pense qu’avec sa montre, Apple veut surtout toucher un public féminin. Il s’agit plus d’une montre bijou qu’une montre de luxe, car ne l’oublions pas : le vrai luxe s’oppose à l’univers global et à la technologie.

Le vrai luxe s’oppose à l’univers global et à la technologie.

 

A votre avis, ça va marcher ?
Oui, sans doute, même si, pour la première fois, Apple ne crée pas le marché avec un de ses objets. Quand dans vingt ans, on se souviendra de l’histoire des tablettes, tout le monde dira que l’iPad était par exemple la première pierre. Là, sur les montres connectées, Apple arrive après Samsung, LG, Sony ou des petites start-up comme Pebble. Plus grave : son retard ne lui a pas permis de sortir un produit différent, ce qui aurait été pour le coup une vraie posture luxe. Certaines marques de luxe n’hésitent pas par exemple à dire : « Ce sac, on a mis longtemps à le concevoir parce que le système de fermeture était compliqué, parce qu’on voulait une certaine matière dure à trouver, etc. Vous l’avez attendu longtemps, mais ça valait le coup. » Là, non. L’Apple Watch n’est pas un produit révolutionnaire.

www.promiseconsultinginc.com

 

 

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