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Le nouveau discours du luxe (1/2)

Entretien Judith Spinoza

LUXE Docteur en sémiologie du Centre de recherches sémiotiques de l'université de Limoges, Anthony Mathé vient de sortir Le Corps à sa façon : regards sémiologiques sur la mode ordinaire (Académia-L'Harmattan).  En tant que consultant de marques, il analyse ici le nouveau discours du luxe qu'a engendré la crise du Covid-19 avant de s'arrêter, dans un deuxième post, sur le cas Gucci.

1-luxe-semiologie-Anthony-MathéAnthony Mathé, vous vous définissez comme un « artisan du sens et de la cohérence ». Quel est l'enjeu du sens chez une marque ?
Le sens, c’est ce qui est exprimé, ce qui fait qu’il y aura du désir ou du rejet, de l’appropriation ou de l’indifférence. Vous pouvez interroger votre clientèle, consulter des experts et mobiliser vos équipes, sans un regard spécifique, il manquera toujours un petit quelque chose pour comprendre comment le sens de votre marque se joue, ce qui le caractérise, le singularise.

Et que recouvre la question de la cohérence ?
La cohérence, c’est le talon d’Achille du marketing. Pour une maison de luxe, la cohérence, c’est s’interroger sur la clarté de ses messages, sur la synergie de ses déploiements stratégiques et sur la pertinence par rapport à ses audiences. C’est toujours bénéfique.

Quelle analyse portez-vous sur les signaux marketing des grandes maisons avec l’impact du Covid-19 ?
Contrairement à d’autres secteurs d’activités qui ont vu des marques prendre la parole à tort et à travers sur la crise sanitaire, les entreprises du luxe ont fort heureusement eu des prises de parole mesurées et discrètes. Contrairement à McDo, Axe, Smart qui ont eu des approches très opportunistes, les marques de luxe ont communiqué de façon sobre sur leur participation. Je pense à la production de gel hydroalcoolique et à la confection de blouses de Kering, LVMH (photo du haut), Hermès, Armani, Burberry et tant d’autres.

Vous voulez dire qu’elles ont répondu sur le mode du sens ?
Oui, c’est très rassurant de savoir que ces marques ont fait quelque chose de concret, et cela avait un sens de le dire. D’abord, on restait dans le cadre de l’information, non d’une mise en scène de sa maison sur les réseaux ou en affichage – c’est le monde qui était en crise, pas les marques, donc autant qu’elles restent en retrait. Dans le second temps de la crise sanitaire, j’ai trouvé très intéressant de voir comment Dior partageait des contenus sur les réseaux : il ne s’agissait pas de mettre en scène les dernières collections mais de partager les archives, le passé, notamment un documentaire inédit. Pour celles et ceux qui étaient confinées et en sécurité, c’était une bulle de poésie et de rêve. Le passé, pour mettre entre parenthèses le présent : joli !

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Les entreprises du luxe ont eu des prises de parole mesurées et discrètes


Quels mots, termes et références reviennent le plus, toutes marques confondues ?
Certaines expressions comme « crise sans précédent », « crise inédite » ou « uncertain times » m’ont marqué et continuent de m’interpeller, tant nous sommes peu préparés à penser l’incertitude, comme si la vie n’était pas incertaine par nature. « Prenez soin de vous », comme « Be well », est une expression qui a pris un sens nouveau. Cela voulait dire tout autant « Ne sortez pas », « Protégez-vous » que « Protégez les vôtres ». On est bien au-delà du plaisir et du « care » humaniste, on est plutôt en-deçà et on revient aux fondamentaux vitaux.

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Il faut deux piliers pour qu’il y ait résilience : solidarité et inventivité. Y est-on ?


Un autre mot très en vogue pour le luxe, « résilience », a attiré votre attention…
Le mot « résilience » m’interpelle depuis le début. « Résilience », et non « résistance », car nous n’avons pas été envahis par les nazis. Ce terme m’interpelle car c’est aussi un concept qui renvoie aux travaux de Boris Cyrulnik. La sémiologue Mariette Darrigrand rappelle d’ailleurs qu’il faut deux piliers pour qu’il y ait résilience : solidarité et inventivité. Y est-on ? Il y a tout un langage du confinement et de la crise du Covid-19 qui a émergé et que les linguistes étudient, en se demandant quels mots vont rester ancrés dans les usages. Affaire à suivre.

«Le corps à sa façon : regards sémiologiques sur la mode ordinaire» d'Anthony Mathé (Académia-L'Harmattan).

La suite de l'analyse d'Anthony Mathé dans un prochain post.

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